Oskar Kokoschka : la psychologie des mains

Kokoschka était un amoureux de l’art ancien, grec et baroque

Dans l’iconographie des anciens puis tout au long de l’histoire de l’art, les mains ont toujours été une expression privilégiée: les gestes de la main sont comme des symboles ou des mots renvoyant à des notions complexes.

Dans l’iconographie indienne, les mou­ve­ments codi­fiés des mains sont appe­lés « mudras », terme sans­krit d’ori­gine védi­que signi­fiant « signe » ou « sceau », avec l’idée que la mudra est un geste qui scelle, confirme ou garan­tit une action.

Les mudras s’appli­quent aux gestes d’une per­sonne (dan­seur), d’un per­son­nage artis­ti­que (pein­ture, sculp­ture) ou d’une divi­nité, et peu­vent véri­ta­ble­ment être lus par le spec­ta­teur, même si la sub­ti­lité de leur codi­fi­ca­tion n’est com­prise que par une élite.

Soyons cette élite et partons observer les mains dans les différents tableaux de Kokoschka exposés.

Les mains jouent un rôle essentiel dans la peinture d’Oskar Kokoschka.

"Le Joueur de transe" représentant l’acteur Ernest Reinhold, daté de 1909 un ami de l’artiste, est exposé à l’entrée de l’exposition et c’est là où j’ai été subjuguée par deux traits majeurs de ce portrait : les yeux et les mains qui se font résonance.

Vous constaterez que la taille des mains est inédite, à quatre doigts.
L’artiste explore ici l’aspect psychologique du sujet qui prend le dessus sur la réalité. 
Cette œuvre fera partie des œuvres saisie des collections allemandes en 1937.

Un autre exemple :  le portrait d’Auguste Forel daté de 1910 : on ne peut pas manquer à nouveau l’expression des mains et du regard.
Tout est dit : la posture et les mains quasi torturées, dans un sens d’introspection intellectuelle, mises en avant qui semblent exprimer tout l’intellect de ce célèbre psychiatre et scientifique suisse.
La posture du personnage est faite dans une représentation quasi irréelle, et on ne peut qu’être attiré par les mains.
Le résultat devait être probant car son commanditaire refusa l’œuvre, jugeant que ce tableau relevait plus « du domaine de la psychiatrie qu’à celui de l’art ».

Un autre tableau étonnant est celui du Père Hirsch daté de 1909.
Là encore le caractère est mis en avant : observez la position des mains, orientées vers l’intérieur, un côté réducteur, en résonance à avec un regard cupide et des dents dévoilées, non pour découvrir un sourire charmeur, mais laissant transparaître un trait de caractère qui ne semble pas bien heureux.

En effet, Moritz Hirsch était un riche homme d’affaires hongrois décrit comme un homme têtu et colérique. Si l’art du portrait dissimule traditionnellement les dents, Kokoshka les dévoile ouvertement, on ne voit que cela…
Il sera d’ailleurs accusé par le public de caricaturer ses modèles.
Pour ma part, je trouve ce tableau plein d’humour !
Ce tableau sera également confisqué en 1937 et sera présentée lors de l’exposition d’art dégénéré en 1937 – Il faut savoir que cette exposition a connu à l’époque un succès hors pair.

Même dans ses dessins les mains ont une importance et exprime tout de suite l’idée qu’il a voulu transmettre : cette vieille femme de dos, dessin daté de 1907, en est l’expression la plus parfaite.

Découvrons « Les mains » comme expression de la complicité du couple.
Ce portrait de Hans et Erica Tietze, daté de 1909, est très fort :

Les mains d’Hans, dans une douceur et une détermination intime, se rapprochent de celles d’Erica figurée une main sur le coeur et une main réceptive à la main complice de son époux qui lui est tendue .
Au-delà de cela , l’expression de chacun d’eux est respectée, chacun représenté dans une certaine introspection, dans une atmosphère brumeuse mais colorée, marquant à nouveau la complicité du couple.
Kokoschka a réalisé ce tableau sans faire poser le couple ensemble, comme si chaque fragment de l’un et l’autre s’imbriquait.
Hans et Eric Tietze était un couple d’historiens et critiques d’art, grands défenseurs de l’art de Kokoschka,  et proches amis de l’artiste.

Une approche plus classique du portrait serait celle de Max Schmidt, une posture où, là encore, le visage et les mains se répondent exprimant un personnage intellectuel posé.

« Le gestionnaire » tableau de 1910, témoigne du caractère du personnage :

 Les yeux baissés, dans un calme absolu, posé, rassurant comme le serait un bon gestionnaire, la main posée sur son torse, un sourire bienveillant.

Rebondissons sur la posture des mains, avec ce portrait d’Herwardt Walden :

Un air d’intellectuel affiché, grand front, lunettes sur le nez, un air d’introspection, la main sur la hanche prouvant une certaine assurance de soi. Ce portrait a été peint durant la préparation de la création de la revue Der Sturm.

Der Sturm est un magazine sur l'expressionnisme fondé à Berlin en 1910 qui était doublé d'une galerie d'exposition homonyme où furent présentés la plupart des acteurs internationaux de l'art moderne

Les mains de part et d’autre du corps de cette jeune fille couplée à un regard rêvassant au futur dans un halo de lumière vêtue d’une robe bleue dans une attitude posée pourrait rappeler les portraits des vierges classiques.

Hommage aux sujets traditionnels d’histoire de l’art avec cette Annonciation datée de 1911, les mains occupant quasiment les trois quarts du tableau dans l’iconographie de la scène.

Une posture de renfermement est celle de ce « Prisonnier, » tableau daté de 1914, les mains croisées, le regard dirigé vers une fenêtre ouverte, symbole d’une liberté convoitée et symbole de sa liberté intérieure.

Les mains comme symbole d’engagement : ce tableau représentant Leo Kestenberg représente l’artiste, les poings fermés, dans une pose frontale, suggérant son engagement politique, impliqué dans les activités du mouvement social-démocrate dès 1918.

Je pourrai poursuivre au travers de nombreux exemples, mais cela pourrait paraître redondent.

Le mieux est désormais est de vous déplacer à l’exposition qui est, je dois dire, incomparable dans les thématiques abordées et l’importance du nombre des tableaux.